Le duel de Molières
C’est arrivé en 1310
Un duel à Molières ?
Non, ce n’est pas une plaisanterie ! Loin de là.
À cette époque où l’Angleterre régnait en Aquitaine, les affaires sérieuses se réglaient l’épée à la main, du moins pour la noblesse. Les seigneurs se montraient fort pointilleux à propos des relations clandestines et de l’honneur des femmes de leur famille, épouses, filles et sœurs, au nom de la morale, de la religion et très utiles monnaies d’échanges pour de profitables alliances matrimoniales.
C’est d’une affaire d’honneur, en effet, qui va opposer deux seigneurs voisins
Le château de Saint-Germain, à Gaugeac, sis sur les hauteurs de la vallée du Dropt, fait face au château de Biron, dont il est le vassal. Hugues de Saint Germain tue sa sœur qu’il a surprise, dans le vallon, en train de mignarder avec le fils du seigneur de Biron ! Ce dernier, Aimeric de Biron, lui en faisant le reproche, Hugues, dit-on, lui répondit avec insolence. Mais on ne parle pas ainsi à son suzerain. Le duel était inévitable.
L’affaire, de grande importance, fut jugée, par Dieu évidemment, en présence de témoins et de « supporters » sollicités par les deux protagonistes. Ils vinrent du sud du Périgord, d’Estissac, de Bergerac, de Saint-Astier et de Blanyac pour soutenir Aimeric de Biron. Pour Saint Germain, de Bergerac, de La Pradelle (à Beaumont-du-Périgord), de Gramont, de Montferrand, de Meyrac. Il y eut également des juristes d’Angoulême et des gardiens de l’Agenais. C’est dire le retentissement régional de cet assassinat.
Mais pourquoi à Molières ?
La bastide est en terrain neutre, à peu près à mi-chemin de l’origine des spectateurs et des témoins. L’endroit doit être idéal, au Placial. Le nom même suppose qu’au lieu d’une scierie et de maisons s’étendait un pré, une place, suffisamment étendue pour recevoir les duellistes, leurs témoins et la foule des spectateurs. Et ils vinrent nombreux et de loin.
La faute est grave et le représentant du roi d’Angleterre en profite pour établir des conditions draconiennes … et intéressées.
Mais il est temps de laisser la parole à Madame Alberte Sadouillet, qui était journaliste, écrivaine, historienne et fut vice-présidente de la Société Historique et Archéologique du Périgord. (1899-1999)
Lieux-dits, témoins de notre histoire
« Sur la commune de Molières, ce pittoresque village sis entre Cadouin et Beaumont, à quelque six ou sept-cent mètres du centre, un lieu-dit « Le Placial » doit tirer son nom de ce qu’il fut dans le passé une sorte de place d’armes.
Le hasard d’une recherche à la Bibliothèque Nationale a permis de le découvrir en consultant le Fonds « Périgord ». C’est en effet, sur l’un de ses nombreux feuillets qu’on peut lire la copie du procès-verbal d’un procès judiciaire dont les péripéties se sont déroulées au lieu-dit « Al Plassal », sur la paroisse de Molières en 1310. Avant de résumer la teneur de ce document, peut être n’est-il pas inutile de rappeler qu’à cette époque notre région était sous la main du roi d’Angleterre, duc de Guyenne par son aïeule, la célèbre Aliénor, fille de Guillaume de Poitiers. De sorte que les duels dits judiciaires, pour être tenus comme preuve que le vainqueur était dans son bon droit, (c’est Dieu qui, selon ce raisonnement simpliste aurait permis la victoire), interdits pas Saint-Louis, étaient bel et bien autorisés dans les provinces régies par le prince anglais. Lequel, nous le verrons, en tirait des avantages.
Voici donc le résumé du procès verbal : par l’ancienne coutume du Périgord, il était permis de faire un combat pour venger un crime public contre la personne qui avait commis ce crime. Comme Hugues de Saint-Germain porta sa main fratricide armée d’une dague ou poignard sur sa sœur qu’il tua.
Aimeric de Biron jeune, fils d’ Aimeric de Biron, seigneur de Montferrand, voulut reprendre ledit Saint-Germain d’une action si lâche et si cruelle. Le jeune Saint-Germain donna un démenti au jeune Biron, mais Aimeric, qui prenait le parti de la juste vengeance, lui fit appel pour se rendre en armes, à cheval à Molières, le mardi après la fête de Saint-Jacques. Lequel appel fut autorisé par Édouard et par Arnaud de Coupane, son sénéchal en Périgord, Quercy et Limousin. Lequel combat devait se faire en présence dudit sénéchal après avoir baillé les otages de part et d’autre.
Aimeric, autorisé par son père, bailla Fernand d’Estissac, Antoine de Madaillan, Hélie de Saint-Astier, Hélie de Blanyac.
Saint-Germain bailla Damien de Madaillan, Guillaume de Pradelle, Raymond de Grammont, Pierre de Gontaud, Sicard et Gastet de Meyrac : tous ensemble engagèrent leurs biens.
Ledit Saint-Germain fut tué dans ce combat, en présence du sénéchal et de sa sœur : auquel lieu son corps gisant mort par terre, le sénéchal jugea que ledit Aimeric avait fait son devoir et que les dépends faits seraient dus à lui victorieux. À cette sentence assistaient Raymond, Richard et Hugues d’Angoulème, juristes. Suivent les noms de ceux qui ont été témoins du duel et des gardiens commis à la garde du champ clos. Ils sont six, dont un bourgeois de l’Agenais.
Aimeric de Biron sort du champ avec les honneurs, son cheval et ses armes. Les biens d’Hugues de Saint-Germain sont confisqués au profit du roi d’Angleterre en tant que duc de Guyenne.
Précisons pour plus de clarté que, les « otages baillés » dont parle le procès verbal étaient ce que nous appellerions aujourd’hui, des supporters, mais des supporters risquant leur mise puisqu’ils engageaient leurs biens. Partie prenante avec la part du lion, dans l’affaire qui nous occupe, bénéficia des dépouilles du vaincu, tandis que les « otages » ayant eu la mauvaise idée de soutenir Saint-Germain, payèrent des dépens de la rencontre, car un combat en champ clos avait ses rites et qu’on ne dérangeait pas gratis un sénéchal.
Pour en revenir au lieu-dit lui-même, de l’Al Plassal du vieux texte à Le Placial d’aujourd’hui, l’identité pour qui connaît notre langue, n’est pas discutable. Nous croyons ne pas nous tromper en pensant que cette « place » était alors celle du champ clos sans qu’il soit nécessaire de la désigner autrement.
L’importance de Molières à cette époque (une importance toute relative bien sûr) est d’ailleurs attestée par le fait que les Anglais en voulurent faire une petite bastide, dont subsistent de beaux vestiges.
Après le temps des Plantagenet, les Anglais continuèrent bien de venir en Périgord, mais seulement en touristes… ou, quelques fois séduits par le charme de notre province, en acheteurs ».
A Sadouillet-Perrin
Comment douter de l’importance de ce jugement par les armes puisque, tant de siècles plus tard, son nom a été donné au chemin qui conduit du bourg au Placial. D’ailleurs une croix, sur un socle en pierre, est toujours là pour, dit-on, se souvenir qu’ici est mort le jeune seigneur de Gaugeac.
Alberte Sadouillet-Perrin, ou Alberte Sadouillet, est une journaliste, écrivaine et historienne du Périgord, née à Saint-Cyprien le 17 juillet 1899, et morte à Sarlat-la-Canéda le 28 mars 1999. Wikipédia
Date de naissance : 17 juillet 1899
Date de décès : 28 mars 1999, Sarlat-la-Canéda
Livres : Pèlerinages en Périgord · Voir plus