Journal de Bergerac et de la Dordogne

Samedi 7 février 1846

Banquet des Anciens Élèves du Collège de Bergerac

« Plusieurs élèves du collège de Bergerac viennent de former un projet qui aura, nous en sommes convaincus une approbation universelle : ils proposent d’appeler chaque année dans un banquet, tous ceux qui, à une époque quelconque, auront fait partie du collège de notre ville.

On sait qu’un usage semblable existe depuis longtemps à Paris, parmi les élèves des lycées et des principales institutions, Charlemagne, Saint-Louis, Henri IV, Louis-le-Grand, Sainte-Barbe ont leur banquet annuel, et nos temps de discorde et de révolutions n’ont pu détruire ces fêtes de la confraternité. Là, toutes les générations, toutes les positions sociales se donnent rendez-vous : le vieillard s’assoie à côté du jeune homme qui va débuter dans le monde et le ministre du roi à côté de l’humble prolétaire dont il partagea autrefois les travaux et les plaisirs.

Une foule de villes de province ont marché sur les traces de Paris, et nous sommes heureux d’annoncer que nos concitoyens ne sont pas restés en arrière.

Ceux qui ont eu l’idée de cette solennité font un appel aux sympathies de tous leurs camarades et de toutes les personnes qui tiennent aux sympathies de leur jeunesse. Les différences d’opinions doivent s’effacer : on se rend sur un terrain neutre, où il ne sera parlé que des anciennes amitiés. En assistant à cette fête de famille, chacun pourra se croire encore au foyer domestique.

Le banquet des anciens élèves du collège de Bergerac aura lieu cette année, le mercredi 18 février courant. Le prix de la souscription est de 5 francs.

La liste, déjà revêtue de plusieurs signatures, est déposée au bureau du journal, où chacun peut aller s’inscrire et déposer le montant de sa souscription.– On verrait figurer avec plaisir sur cette liste MM. les professeurs du collège qu’ils aient ou n’aient pas été élèves de l’établissement.

Les souscripteurs seront convoqués pour le 14 de ce mois, à l’effet de choisir le président et les commissaires, et désigner le lieu et l’heure de la réunion. – La liste sera close ce jour-là afin que les commissaires puissent convenablement faire leurs préparatifs et les calculer sur le chiffre de la souscription.

À l’issue du banquet il sera fait une quête au bénéfice des pauvres. »

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Journal de Bergerac et de la Dordogne

Banquet des Anciens Élèves du Collège de Bergerac

Samedi 21 février 1846

Le banquet des Anciens Élèves du Collège de Bergerac a eu lieu le mercredi dernier 18 courant, dans la grande salle des Casernes.

Avaient souscrit : MM de Bacalan prop., à Bergerac, Baron, négociant à idem, H. Baron, courtier à id., D. Bec avoué à id., Beauvalet fils, surn. de l’enregistrement, à id, Lagrèze de Biran, prop à id, Maine de Biran prop à St-Sauveur, Numa de Biran, avocat à Bergerac, Bordère, avoué à id, Borie, prop à id, Bonnet de Larbogne, fermier du pont à id, E. Bourson, banquier à id, J. Bourson avocat à Castillonnès, H. Bouquet, profess. au collège de Bergerac, L. Boyer, avocat à id, Th. Bugniet banquier à id, J. Bugniet avocat à id, Brunet, not. à Cahuzac, Cantelauve, profess. au collège de Bergerac, E. Cailloux, avocat à id, R Caillou, avocat à id, Carré, pharm. à id, Chapuis fils, avocat à id, Coq, commissionnaire à id, Coq not. à Bouniagues, Couderc, juge d’instruct. à Bergerac, Delcros, maire à Lalinde, J. Demoy, prop à Mussidan, Désaguiller, maître de bateaux à Bergerac, L. Domangel avocat à id, A. Dupeyroux, prop à id, Dupuis fils, courtier à id, Eyma de la Boule, prop à id, H. Eyriniac, avocat et maire à id, N. Eyriniac, avoué à id, Faisandier, imprimeur à id, Fauvel, avoué à id, Feytout, principal du collège de id, Félix, maître de postes à id, Franc, propriétaire à id, Rauly Galina fils, employé des finances à id, Galina de Russel fils, négociant à id, Ch. Gérard, entrepr. de tr. publ. à id, Septembre Gérard, prop à id, Gravier fils prop à id, Gombaud, clerc de notaire à id, Gagnaire, notaire à id, P Gaussen, avocat à id, Ch Gaussen prop à id, Javerzac, médecin à id, Lapeyre, profess. au collège de id, De Larue, médecin à id, Laguarrigue notaire à Castillonnès, Lamothe-Pradelle, médecin à Ste-Alvère, Em. Laurens, étudiant à Bergerac, Ev. Laurens, commerçant-négociant à id, Lacroix, procureur du roi, Laborit, avocat à id, A. Lafargue, prop à id, E. Loreilhe nég. à Bordeaux, Loreilhe, médecin à Lamonzie-Montastruc, N Loreilhe, prop. à idem, D. Laramière, prop. à Issigeac, Lavaud, contrôleur des contributions directes à Bergerac, Lavaud fils, prop. à id, Larroque, prop à id, Mantet, vétérin. à St-Germain, Macerouze, not. à Mouleydier, Massé aîné prop. à Bergerac, Mazé prop. à Domme, Mortemousque, percepteur à Villefranche-de-Longchat, E. Monteil, avocat à Bergerac, H. Monteil, prop. à id, J. Monteil, avocat à id, Th. Péchadergue, médecin à id, Peyrounet fils, prop. à id, Planteau, banquier à id, Richard avoc. à id, Rolland, banquier, 1er adjoint du maire de id, Séjournas, prop. à id, Simounet du Terme, prop à id, J-B Vergniol, subst. du procur. du roi à id, H. Viger, avocat à id, L. Vigier, prop. à id.

Presque tous les souscripteurs s’étaient rendus à leur poste, et le repas a eu lieu au milieu des témoignages de la plus vive cordialité. Tous les élèves de la même époque avaient été placés les uns à côté des autres, et chacun d’eux se renouvelait les marques de leurs anciennes affections.

Le dîner, servi par M. Renouleau, maître d’hôtel à Bergerac, a été des plus confortables et a mérité l’approbation universelle.

Des toasts nombreux et toujours accueillis par d’unanimes bravos ont été portés au dessert, et tous les convives se sont séparés avec la ferme intention de célébrer chaque année cette fête de famille. Une quête au profit de pauvres a terminé la soirée. »

Abréviations : prop.= propriétaire, id.= idem, surn.= surnuméraire, enreg.= enregistrement, profess.=professeur, not.=notaire, pharm.=pharmacien, instruct.= instruction, entrepr. de tr. publ.= entrepreneur de travaux publics, nég.= négociant, vétérin.= vétérinaire, subst.= substitut.

Le Journal de Bergerac fait paraître un compte rendu de la manifestation qu’il avait annoncée et, d’abord, la liste des souscripteurs. Ceux-ci étant fort nombreux, le rédacteur opte pour un classement par ordre alphabétique et pour des abréviations afin de préciser les métiers et les lieux. En 1846, Louis-Philippe est roi mais les agitations, les ferments révolutionnaires sont toujours là tandis que Louis Napoléon attend en embuscade. « L’esprit politique est mort dans ce pays, pour plusieurs années : on ne pense qu’à s’enrichir et à faire des chemins de fer » écrit Louis Faucher, journaliste de l’opposition libérale. (cité dans Contexte de Thierry Sabot, 2007). En effet, l’amélioration des voies de communications est l’une des principales préoccupations des élus qui veulent raccourcir les durées de voyage en renforçant ou en créant des routes, ainsi que des liaisons par chemin de fer à travers tout le territoire, au bénéfice des voyageurs et du commerce. Pour ce qui est de la circulation des personnes et des biens, signalons la présence, au repas, du « fermier du pont », (celui qui est garant du paiement des droits d’octroi), d’un « maître de bateaux » et d’un « maître de poste ».

Toutefois, l’écrasante majorité de nos convives est constituée de vingt-trois propriétaires terriens et non des moindres avec, par exemple, les familles Maine de Biran, Eyma, Simounet, entre autres, sur les quatre-vingt-quatre inscrits, soit 27 %. des participants Les domaines sont entre les mains des aristocrates et des bourgeois qui en font le signe de leur ascension sociale. 1846 va bientôt connaître une crise agricole, industrielle, monétaire et commerciale. Mais, en ce début d’année, laissons les coreligionnaires à la joie des retrouvailles.

Suivent ensuite les gens de robe et ceux du négoce. Les conflits vont bon train en Bergeracois si l’on en juge par la présence de quatorze avocats (16 %). En tous cas cela atteste le succès de la profession au sortir des études. Suivent cinq avoués, cinq notaires et un clerc de notaire, cinq négociants, un courtier, quatre banquiers, un commissionnaire, un juge d’instruction.

La présence de l’administration royale se fait sentir pas celle du procureur du roi et de son substitut, du contrôleur des contributions directes, du percepteur, d’un surnuméraire de l’enregistrement, d’un employé des finances.

Citons maintenant quatre médecins, un pharmacien et un vétérinaire, un imprimeur, et un entrepreneur de travaux publics. Un « étudiant » est présent sans qu’il soit précisé s’il joue un rôle dans l’organisation ou s’il a accompagné son père… pour confirmer que le vieillard a bien été assis à côté du jeune homme.

Le principal du collège, M. Feytout Jérôme est venu accompagné de deux professeurs, MM. H Bouquet et Cantelauve. Le maire de Bergerac, M. Eyriniac et son premier adjoint, M. Roland, respectivement avocat et banquier, ont fait le déplacement ainsi que M. Delcros, maire de Lalinde.

Si nous considérons les métiers de ceux qui ont répondu à l’appel, nous ne trouvons pas la présence de « l’humble prolétaire » évoqué dans l’appel du journal. Ces derniers ne se seraient pas sentis très à l’aise au milieu des citoyens du « dessus du panier » ou « des gens de la haute » dont même un pharmacien faisait partie disait-on à Saint-Avit-Sénier. Ils devaient être bien rares les fils de paysans à suivre des études au collège. Souvenons-nous cependant de Léo Testut, gamin de Beaumont-du-Périgord, fils de mineur devenu quincaillier, qui, grâce à son curé et à ses études au Petit Séminaire de Bergerac, au séminaire de Sarlat et à la faculté de Bordeaux pu mener une brillante et illustre carrière de professeur de médecine et d’archéologue après avoir être parvenus aux plus hauts grades universitaires.

Regardons d’où venaient géographiquement les convives. Ils sont majoritairement, ce qui est logique et attendu, 68 à être domiciliés à Bergerac même et surtout intra muros, rue du Marché, où réside la dynastie des Monteil et ses trois avocats., ou dans ce que nous appelons encore le vieux Bergerac. Le proviseur est rue Fonbalquine. Il a cinquante-quatre ans, il y vit avec sa femme, ses trois filles, M. Marty, professeur de français de trente ans, deux servantes et deux domestiques, soit une maisonnée de dix personnes. À cette époque il est de coutume d’avoir une abondante progéniture et de recueillir les grands-parents, des frères et sœurs, des neveux etc.

Les vieilles familles de l’arrondissement ont également des demeures qui se côtoient à l’intérieur des anciens remparts. Ainsi les de Madaillan, rue Bourbarreau, avec douze personnes, dans une maison qui voisine avec celle des Morton de la Chapelle où vivent six personnes, etc.

Les seize autres participants, soit 19 %, viennent de la périphérie de la ville ou de sa zone d’influence ou d’attraction du collège. Les sept les plus éloignés viennent de Castillonnès, Mussidan, Sainte-Alvère, Issigeac, Cahuzac ou Villefranche-de-Longchapt. Sans oublier le bordelais.

Comme prévu, une quête au profit des pauvres a terminé la soirée. La somme récoltée est restée pudiquement tue mais ne pouvait qu’être la bienvenue en ces temps difficiles pour le peuple.

Jules Renouleau, maître d’hôtel de trente ans, réside rue Neuve, dans une maison entre un employé de la mairie et un cafetier. Sa femme, Rosalie Delmas a vintg-quatre ans. Ils ont un fils de six ans et une fille de un an. Ils ont dû accueillir chez eux une nourrice de vingt ans, en plus de la servante et d’un domestique habituels. Nous ne savons rien de l’organisation matérielle de la réunion et du repas, mais il a su gérer le service dans la grande salle de la caserne, à la satisfaction générale.

Voilà donc, il y a bientôt 180 ans qu’eut lieu le premier repas des anciens élèves. Le XIXe sera riche en banquets. Nous n’avons qu’un regret, ne pas connaître le menu.

Signature
Signature Rolland

Signature
Signature Eyriniac